La haine



Mes enfants, 'citoyens du monde', grandissent à Belleville, au carrefour de plusieurs continents, cultures, communautés, etc., un rêve de bobo bien pensant... sinon qu'en fait de carrefour, ce serait plutôt un échangeur, où les voies se superposent, et se contournent, sans jamais se confondre...
Chacun croit être le centre du monde et tous les autres sont à la marge.
Comment l'expliquer à mes garçons qui sont perméables comme tous les enfants, rapportant jusque dans la cour de leur école des combats qui ne sont pas les leurs, dans des mots qui ne leur ressemblent pas ni ne les concernent?
Comment leur faire comprendre que la haine de l'autre est une aberration logique, en plus de mener droit dans le mur? Que nous sommes tous un jour étrangers par rapport à un autre, et vice-versa!
Ma rhétorique simpliste n'y fera rien: ce serait lutter à la fois contre un penchant naturel à préférer l'entre-soi et contre une entreprise culturelle et intellectuelle qui s'emploie depuis des siècles à dézinguer son voisin terrien.
Je crois entendre Ernest Renan dans le poste quand on m'explique que les racines de la délinquance sont culturelles (lire à ce sujet la tribune percutante d'Eric et Didier Fassin parue dans Le Monde il y a quelques jours, et en ligne sur Mediapart depuis) et je m'étrangle. Pis, j'en rêve la nuit.
Moi dont les cauchemars sont plutôt centrés aujourd'hui sur ma petite personne et ses névroses: organiques (je perds mes dents), affectives (je perds mon mari) ou les deux à la fois (j'échoue à sauver des nouveau-nés enduits de vernix gris moribonds abandonnés sur une paillasse dans un sous-sol d'hôpital, no comment), je me suis pris hier à rêver d'un scénario bien plus pétri de res publica que d'habitude.
Il y était question de racisme ordinaire et j'en étais la victime! On me regardait avec suspicion et on me parlait avec mépris. J'avais beau opposer mon langage le plus châtié (je suis française) et mon bonnet Sonia Rykiel (je suis parisienne), j'étais traitée comme une merde, a priori. Je me suis réveillée le coeur battant chamade, contrariée par ce mauvais rêve et en même temps sidérée que le climat actuel de stigmatisation et de haine m'imprègne insidieusement à ce point, s'immisçant jusque dans mes nuits.


*"Etrangers partout", installation lumineuse à tous points de vue, en plusieurs langues et alphabets, de Claire Fontaine, sur le parcours de la Nuit blanche 2010.

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