"Un pain, un dictionnaire, un litre de vin..." *

New York

Je me suis surprise il y a quelques semaines, alors que je retrouvais avec plaisir la douceur du printemps new-yorkais, à entériner pour ainsi dire la disparition de Strand, qui m'avait tant impressionnée il y a près de quinze ans, lors d'un premier séjour à Manhattan. Ce charmant et chaotique dédale de rayonnages poussiéreux m'évoquait tout à la fois les Gibert de mes années étudiantes, et l'antre excentrique de Dylan Moran dans la série britannique Black Books, portrait grinçant d'un libraire épouvantable de misanthropie.
Ayant suivi les déboires tragiques d'un Borders ou encore d'un Waterstones de ce côté-ci de l'Atlantique, je n'avais pas imaginé une seconde que la librairie new-yorkaise qui faisait jadis publicité de ses kilomètres de livres ("8 miles of books", dix-huit aujourd'hui...) fût encore vivante. Frustration que de ne pas avoir daigné vérifier et de n'y être point allée, perplexité face à mon propre fatalisme...


Paris

Voici un an, La Hune s'installait à l'endroit même de la boutique Christian Dior qui avait elle-même chassé jadis Le Divan très loin de Saint-Germain-des-Prés.
Cette boucle ainsi bouclée m'avait alors semblé dessiner un bien ironique motif.

Cela me rappelait à vrai dire San Clemente à Rome, modeste et néanmoins splendide basilique du douzième siècle construite sur les bases d'une église des tout premiers siècles de la Chrétienté... elle-même sise sur les fondations d'un temple romain consacré au dieu taureau Mithra !

Pour autant, point de posture passéiste dans mon ravissement face à cette lumineuse et spacieuse librairie, ni même aucun souci de perpétuation de l'aimable imagerie culturelle et intellectuelle du quartier. Je pressentais plutôt comme une légère translation dans la destination de ces lieux que sont les librairies.
J'ai aujourd'hui cette intuition : les librairies parisiennes seront-elles bientôt tout autre chose qu'un commerce de papier et de quartier ?
Les affres récentes de grandes enseignes de distribution du livre me confortent dans cette idée. La librairie ne saurait se résumer demain à cette activité de commerce de détail, tant l'économie du livre dans la ville est désormais fragile, encombrée de productions éditoriales pléthoriques ruineuses au plan comptable, et terriblement chahutée par les acteurs en ligne. C'est ailleurs, dans un registre de représentation, d'animation, et de communication que je les imagine perdurer, et briller !

Une de mes librairies préférées se situe à quelques pâtés d'immeubles de chez moi. Libralire a le charme et le lustre de son parquet aux lames crissantes, de son anachronique rayon de poésie, de sa vitrine délicate dédiée aux volumes de La Pléiade qu'un voisin menuisier a fabriquée sur mesure, de ses tables généreuses qui donnent à voir, à lire et à découvrir tant de voix et d'écritures.

À commencer par la voix souriante et soyeuse de Béatrice, qui anime et incarne littéralement ce lieu (comme ailleurs une Colette dans un arrondissement voisin), qui prête ses mètres carrés en rez-de-jardin à un un atelier d'écriture, qui accueille de soirée en fin d'après-midi quelques discrets auteurs de maisons rares ou renommées, qui parfois accroche quelques dessins réalisés à l'occasion d'une signature et s'improvise curatrice, traçant depuis longtemps un chemin pérenne et délicat qui des livres à la ville et de la ville aux livres nourrit merveilleusement l'idée que je me fais d'un tel métier.












* C'est ainsi qu'un vieux reportage télévisé définissait les contours du SMIG (ou Salaire minimum interprofessionnel garanti, nouvellement créé dans la France des années cinquante), en dressant l'inventaire des biens incontournables qu'une telle rémunération devrait permettre d'acquérir. J'aime bien l'idée qu'un pain se trouve ainsi flanqué d'un dictionnaire, les mots savants, foisonnants et bavards prenant place entre des biens rudimentaires. Quant à la poésie, au roman, aux documents, et aux indispensables livres pour enfants, c'est d'un salaire maximaliste qu'il eût fallu débattre...

Commentaires

  1. Dans le genre, es-tu deja allee chez Daunt books dans Marylebone high street? Ca devrait te plaire! Et aussi, Books for cooks, vers Nottinghill, ou tu peux trouver a peu pres tout en matiere de livre de cuisine mais aussi discuter recettes avec le patron et les tester en dejeunant pour pas cher. Pour une prochaine visite? ;-)

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  2. Je retournerai chez Daunt Books lors d'une très prochaine visite! et merci pour Books for cooks: j'y ferai un saut également.
    (à propos de Daunt, j'ai une histoire amusante: installée dans le métro lors d'un trajet quotidien, j'avais commencé à écrire quelque chose où il était question de Daunt et, levant le nez à Arts et Métiers, je tombe sur une jeune femme avec un tote bag écru imprimé de vert... Daunt Books, et son logo à arcades...)

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