De l'Encyclopédie des morts à la Repubblica dei Lettori*

Il y a une semaine environ, je recevais une grande enveloppe blanche postée à Madrid avec un extrait d'ouvrage à l'intérieur, quelque dix pages sans autre indication que le titre courant. Je me suis souvenue d'une conversation l'année dernière à propos d'auteurs que je ne pratiquais pas et de quelques autres noms sonnant comme une promesse. Mon amie madrilène avait évoqué Leo Perutz (ajouté depuis sur la liste des auteurs que je lirai un jour), et encore Danilo Kis.
Avec la lecture de ces quelques pages issues de son Encyclopédie des morts, je renoue avec les nouvelles borgésiennes dans leurs motifs les plus emblématiques: les bibliothèques, l'inventaire du monde, la volonté obsessionnelle de savoir; c'est aussi le récit d'une vie particulière, d'une mort annoncée, et d'une révélation magique. Un texte ramassé, ciselé, qui m'a conquise.
J'ai eu envie de l'adresser à mon tour à un autre ami lointain (au plan géographique), ce que j'ai fait depuis. Je serais ravie qu'à son tour il l'envoie ailleurs et ainsi de suite.
Cela existe de manière organisée et consiste à abandonner un ouvrage qu'on a lu dans un lieu public avec une dédicace pour le passant curieux. J'avais le souvenir d'un article lu à ce sujet, et plutôt que d'aller fouiller dans mes archives (où je compile en vrac sujets de recherche ahurissants, faits-divers romanesques et autres histoires insolites), j'ai cherché sur la toile ce qui pouvait subsister de cette charmante idée de partage. J'ai trouvé une plate-forme manufacturée où l'aventure singulière de la lecture se noie dans un luxe de 'fonctionnalités' à la convivialité appuyée.
Le mouvement du bookcrossing est d'origine américaine, il connaît une déclinaison francophone vilainement traduite par bookcrosseurs (!), et arbore un site façon Guide du routard ou Lonely Planet, avec logo, laid, emblématique de la communauté, étiquettes calibrées (à coller en couverture intérieure pour 'tracer' le livre), procédures bien arrêtées, etc. 

Un vaste parcours fléché qui donnerait plutôt envie de prendre ses livres à son cou pour aller lire égoïstement et tout son saoul dans un sous-bois, loin de ses contemporains. En brûlant soigneusement son volume après qu'on l'a appris par cœur, comme les hommes-livres de Farenheit 451.

*Non, il faut plutôt lorgner du côté des passeurs de livres, version sécessionniste (?) franco-italienne du bookcrossing. Ce réseau réunit Florence et Albi, Québec, Rosny-sous-Bois ou Fleury-les-Aubrais... Son site bilingue à l'allure désuète et au ton souriant affiche bien davantage la seule et noble dimension ludique du bookcrossing. Passeurs, courez! avant que l'air du temps ( à base de réseaux sociaux et de décroissance) ne vous happe...

Commentaires

  1. Autre définition du bookcrossing: oubli dans un bus d'un ouvrage de prosélytisme religieux de 700 pages qui vient de vous être offert au tout début d'une randonnée en montagne... qu'il est bon de redistribuer les richesses spirituelles au passant...

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  2. définition facétieuse! je la retiens...

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