Grange Batelière

Quel étrange après-midi.
J'étais hier dans cette rue au si joli nom où j'ai souvent à faire avec Nilu.
Débarquant de mon Belleville arabo-turco-chinois, j'y suis en terra incognita, n'était-ce le galeriste passage Verdeau avec qui je partage les requêtes Google sur le cabinetcurieux (du nom de sa boutique), car partout ailleurs dans ce quartier industrieux, je mesure l'étendue de la mosaïque parisienne et de ses variations inouïes en termes de tribus et de façades.
Entre le Bouillon Chartier et la salle des ventes de Drouot, les marchands de tableaux, de bibelots et de vieilles photos dessinent la physionomie des vitrines, des rues, mais aussi des gens qu'on y croise: majoritairement masculine, d'âge mûr, plutôt embourgeoisée au plan vestimentaire mais sans luxe ni recherche, d'abord plutôt sympathique, foncièrement déconnectée de l'air du temps qui dicte ailleurs les codes et les postures.
Pour une fois, je ressens plaisamment la promiscuité et la communauté d'esprit et de culture qui vous font qualifier un peu vite parfois tel quartier ou arrondissement parisien de "village" ou d'enclave (pittoresque et dépaysante forcément).
J'aime tout particulièrement cette cour sans charme où nous nous rendons régulièrement et où se côtoient un institut Montessori, une école de broderie d'art Lesage et un imprimeur qui s'appelle Jacques London (sic).
Le premier charrie son flot de gamins bruyants et délurés, la deuxième laisse deviner derrière des vitres tendues de film blanc occultant de vastes ateliers lumineux et de larges tables où pointent des petits fers à repasser comme des jouets, ici une silhouette penchée immobile et appliquée sur son châssis, là un mannequin Stockmann. Un coursier encombré d'un long carton siglé Lemarié (le plumassier) cherche son chemin et j'ai plaisir à le lui indiquer, avec une envie furieuse de lui piquer son carton et sa casquette pour aller livrer les précieuses plumes moi-même.
Le troisième enfin fait visiblement dans l'affiche de musées parisiens mais aussi dans la couverture de livres. Les centaines de cartes imprimées et non pliées attendent patiemment sur des palettes filmées d'être expédiées chez l'imprimeur du bloc (les pages intérieures); évidemment, je jette un oeil aux titres et aux maisons: Gallmeister, entre autres. Voilà qui colle plutôt bien avec le pseudonyme Jacques London, car il me semble bien que cet éditeur est spécialisé en littérature américaine. Coquetterie d'éditeur que de vouloir que ses fournisseurs s'accordent en tous points avec sa ligne éditoriale?
En fait, je me fourvoie! En recherchant plus avant un site ou une mention de cet imprimeur sur Google, je tombe sur un article de l'Humanité* qui me raconte que M. Jacques London est né à Kiev en 1910 et qu'il a imprimé avec son frère Israël Les Cahiers du bolchévisme dans les années vingt! Son entreprise dont j'ignore si elle est restée familiale continue d'imprimer les affiches et les programmes de la fête de l'Huma...
J'ai décidé d'aller explorer toutes les autres cours de la Grange Batelière à compter de maintenant.


*pas de lien! déjà qu'en renvoyant vers Alternatives économiques je me fais tacler, là je n'imagine pas...

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