La cuisine des sirènes

Mon ami Olivier Syrah du Valais (c'est un pseudo) vit reclus plusieurs mois d'hiver du côté des Alpes, celles du sud, minérales et lunaires parfois; quand il n'écrit pas, il s'emploie à constituer son catalogue de goûts et de terroirs (il est épicier autant qu'écrivain). Et me fait part ces derniers jours de ses découvertes oenologiques du moment (les raisins, autant que les mains et le verbe des hommes qui les travaillent). Il y a, à le lire, un plaisir évident à goûter toutes ces saveurs et ces rencontres, et à se laisser ravir par elles.

Je rapproche volontiers ce qu'il me raconte de ma lecture du moment, une biographie en forme d'entretiens avec Dina Vierny, muse et modèle de Maillol, comme on la définit couramment.

Cette femme est une terrienne. C'est pourquoi j'en reviens aux mots de bouche et aux plaisirs du palais, avec de menues histoires dont elle s'applique à souligner le pittoresque. Il est question à un endroit d'une société marseillaise qui, pendant la guerre, s'employait à fabriquer des ersatz de pâtes de fruits avec de la datte et de la pâte d'amande et qui servait de couverture, la société, pas la pâte d'amande, à des résistants et autres clandestins: cette entreprise s'appelait 'la Compagnie des Croque-fruits' !!! quel joli nom digne d'un Roald Dahl!
Il y a là aussi quelques pages sur la cuisine de Clotilde Maillol (Madame), joyeuses et enthousiastes, qui réconcilient la cuisine avec la poésie :
"Vous savez, les Maillol étaient tous des personnages raffinés. Et elle, en particulier, avait de très anciennes recettes de famille. Certaines remontaient au Régent! Vous vous rendez compte! Nous, dans la montagne, on ne se nourrissait pas de la même façon; Maillol connaissait bien la montagne. Il allait cueillir des herbes et des racines et il savait les cuisiner. ça devenait mangeable. Il connaissait toutes les plantes: il nous ramenait un truc pelucheux, peu engageant. "Qu'est-ce que c'est cette horreur? - Vous allez voir, ça va donner une salade épatante!" Et ça devenait en effet une salade épatante (...) C'étaient tous de grands connaisseurs, des raffinés. Vous savez, il existe énormément de cuisines différentes. Il y a la cuisine bourgeoise. Il y a la cuisine des sirènes. Il y a la cuisine des artistes. Il y a la cuisine des goûts oubliés. Et lui, Maillol, c'était un grand maître. Les artistes sont souvent de bons cuisiniers parce qu'ils ont crevé de faim et qu'ils ont toujours eu le rêve de grands repas."
Dina Vierny. Histoire de ma vie racontée à Alain Jaubert. Gallimard, 2009.

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