Le cravail*

C'est la rentrée, bis repetita.
Plongeon dans les activités rémunératrices alimentaires pour les uns, les obligations scolaires élémentaires pour les autres.
Il y a deux jours, au détour d'une conversation sur un projet dont je m'occupe ces jours-ci, mon frère écoutant patiemment mes explications forcément bavardes et encombrées de détails inutiles m'a demandé tout à trac: tu ne peux pas être pompier comme tout le monde ?
Non, on est bien d'accord, tout le monde ne peut pas construire des ponts et des structures en béton, ou éditer des livres, ou enseigner la physique ou l'allemand, ou éteindre des feux et secourir les chats égarés dans les arbres (faudra leur expliquer à ces poilus volatiles que les pompiers ne déploient plus la grande échelle pour ça, sauf dans les illustrés de ma nièce de trois ans). Mais enfin tu plaisantes? Je travaille dans un secteur bien identifié avec un intitulé de poste dont on ne cerne certes pas toujours les contours (moi la première...) mais qui reste assez explicite quant à ce que je fabrique toute la journée !
Que dire alors de tous ces intitulés de poste anonymes désincarnés qui défilent dans les annonces des intranets ou des réseaux sociaux professionnels ? Directeur de site à Bordeaux ? Responsable de pôle à Carpentras ? Et l'universel Chef de projet partout ailleurs en France et dans le monde !!?
Le monde du travail est aujourd'hui peuplé de chefs de projets en tous genres.
Quand j'étais petite (l'âge de la nièce sus-citée), je voulais être cantinière, sans doute parce que la dame qui nous faisait des frites à l'école était de ce fait la personne la plus aimable au mien monde; aujourd'hui qui sait je serais chef de projet à la cantine.
Comme le relevait avec style Teodor Limann (ce polytechnicien cadre d'une grosse société qui écrit sous pseudo) dans son petit ouvrage Morts de peur. La vie de bureau, il y a deux sortes de vanités dans le monde du travail: la vanité sectorielle (je travaille dans l'édition, je suis créatif dans une agence de com'), et la vanité fonctionnelle (je suis général, chef d'escadrille, ou chef de projet), nous y voilà.


Mes enfants sont eux-aussi en âge de se poser la question de savoir ce qu'ils feront plus tard. Concernant leurs projets d'avenir, ils auraient plutôt comme moi l'esprit d'escalier et des envies à tiroirs (larges les tiroirs, et bien remplis, mal rangés aussi, des enfants quoi). Je peine à y mettre de l'ordre et à les exhorter de bien vite se positionner et se prononcer, en me répétant en mon for intérieur combien je suis moi-même peu pragmatique quand il s'agit de leur causer réalité du monde du travail et ressources matérielles.
J'ai présentement affaire à trois indécis, ou plutôt à deux indécis et à un petit garçon malicieux qui a l'art d'esquiver les questions gênantes et de s'évaporer en un rien de temps sans même que je m'en aperçoive (ah mais où il est passé ? un garçon quoi).
Ainsi ai-je droit sans surprise au touchant "mais toi maman, qu'est-ce que tu voudrais qu'on fasse?" ou encore à toutes sortes de réponses hors-sujet; j'en tiens pour preuve un échange très récent, transcrit ci-dessous:
"Qu'est-ce que tu voudrais faire plus tard ?
Moi je voudrais voyager !
Mais c'est pas un métier ça.
Ben je sais!"
Non mais tu ne peux pas être (aspirant) vétérinaire comme tout le monde?
Ou chef de secteur zoo, division primates à poils durs si tu préfères...



* Le cravail, c'est ainsi que mes enfants nommaient quand ils étaient petits l'hydre qui me ravit chaque matin et me rend à eux le soir, et qui leur fait dire encore aujourd'hui à la veille des vacances estivales sur un ton incrédule : "mais tu pars avec nous et tu restes avec nous ?!" Comprendre: "toi aussi tu es vacances ?! et en même temps que nous ?! c'est insensé " gloups.

** oui, oui je travaille dans l'édition mais je prends ici des libertés avec la ponctuation et non, non, je ne mets pas d'espace avant mes : et mes ; dans mes posts ici présents car je ne sais tout simplement pas comment on y fait des espaces insécables: quelqu'un ?


Commentaires

  1. La voisine au chat qui a l’outrecuidance d’être chef de projet !2 septembre 2011 à 17:46

    J'ai cliqué sur le lien : paf j'arrive sur le "Alter-Eco", ben voyons me dis-je in petto... un tour chez gougle : tu aurais pu hyperlier avec Le MondeDiplo (http://www.monde-diplomatique.fr/2007/11/LAROUSSERIE/15343) ... mais aussi avec www.consulendo.com/Morts-de-peur-la-vie-de-bureau.html (avec une interview de l'auteur siouplet !)... ou tout simplement vers une librairie on line. Raconte moi la cible de tes liens je te dirai qui tu es ! Rendons hommage à la personne à qui tu dois cette lecture enrichissante: notre ami Katri…..

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  2. Qu'est-ce qui cloche avec Alternatives économiques?!
    Et j'ignorais que tu devais cette lecture à la fréquentation de Tarko, son officiel pseudo; moi je la tiens de toi! chère voisine...

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  3. ce billet là m'a bien fait rire.
    il me donne envie de dire : préservons notre enfant intérieur, chef du monde de nos rêves les plus précieux...

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