Pommes

"Un grincement métallique quelque part en haut dans la toiture. Il y avait encore une odeur persistante de vaches dans l'étable et il resta un moment à penser aux vaches puis il se rendit compte que l'espèce était éteinte. Était-ce vrai? Il se pourrait qu'il y eût une vache quelque part qu'on nourrissait et dont on prenait soin. Serait-ce possible? Nourrie avec quoi? Épargnée pour faire quoi? Au-delà de la porte ouverte l'herbe morte crissait sèchement dans le vent. Il sortit et s'arrêta pour regarder de l'autre côté des champs vers le bois de pins où le petit était allongé et dormait. Il traversait le verger quand il s'arrêta encore une fois. Il avait marché sur quelque chose. Il fit un pas en arrière et s'agenouilla et écarta l'herbe avec ses mains. C'était une pomme. Il la ramassa et la tendit dans la lumière. Dure et brune et ridée. Il l'essuya avec le chiffon et mordit dedans. Desséchée et presque sans goût. Mais une pomme. Il la mangea entièrement, pépins et tout. Il garda la queue entre le pouce et l'index et finit par la lâcher. Puis il repartit en posant délicatement le pied dans l'herbe. Ses pieds étaient encore enveloppés dans les restes du veston et les lambeaux de la bâche et il s'assit et défit les bandages et les fourra dans sa poche et repartit nu-pieds entre les rangées. Le temps d'arriver au fond du verger il avait quatre pommes de plus et il les mit dans sa poche et revint sur ses pas. Il avançait rangée par rangée, ses pas traçant un puzzle dans l'herbe. Il avait plus de pommes qu'il n'en pouvait porter. Il palpait les espaces entre les troncs et il remplissait ses poches à les faire craquer et il empilait des pommes dans le capuchon de sa parka derrière sa tête et il entassait des pommes contre sa poitrine sur ses avant-bras. Il en fit une pile à la porte de l'étable et s'assit et enveloppa ses pieds engourdis."

Cormac McCarthy, La route, .2 (Points), 2011

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