Aphysiogoranomiste*

Comme tout le monde, j'aime en être le centre, du monde.
Je me dis parfois que je n'ai jamais quitté l'enfance où chacun déploie égocentriquement sa carte du monde et des valeurs: moi, mes parents (ou mes enfants aujourd'hui), mon appétit, ma faim, mes sensations, la conquête de tout ce qui m'environne.
Mais bon, comme (presque) tout le monde, j'ai grandi (ou vieilli) et je comprends bien désormais que je ne suis pas seule à me penser au centre du monde, et qu'il est au final assez banal, et normal que tous ces égocentrismes coexistent et jamais ne se confondent, sauf peut-être dans une relation amoureuse où cette belle attention à soi et cette présence au monde s'échangent et se superposent et ont des contours flous et confiants, ce qu'on appelle abandon, ou prise de risque, mais je m'égare, c'est une autre histoire.

Ce matin j'ai appris qu'autour de moi, il y avait quelque 7 milliards de Terriens. Léger vertige agoraphobique: toutes ces gens, toutes ces pensées, toutes ces projections mentales à l'assaut de ma réalité, c'est propre à vous désaxer et chahuter votre centre de gravité, n'est-ce pas?

Et puis le gros problème, en plus de ma myopie, c'est que je ne suis pas du tout physionomiste; j'ai la mémoire des noms en revanche.
Je retiens tout un tas de noms propres (de personnes ou de lieux) parfois sans réelle intention, par imprégnation, ce qui produit souvent son effet car, à coups de name-dropping compulsif et désordonné, j'abuse souvent mes interlocuteurs qui s'imaginent que je connais tout ce petit monde intimement.
Mais alors, devant un visage prétendument familier, il n'y a plus personne.
Je peine souvent à situer des visages qui me sourient ou me saluent. Je suis polie, je réponds avec un sourire plein d'assurance, le temps que mes synapses renouent les fils d'éventuelles réminiscences et que ma mémoire exhume d'éventuels repères contextuels, s'il s'en présente!


En effet, hors du contexte qui me fait les rencontrer, mon marchand d'olives n'a rien à faire à la brocante du dimanche, et je ne veux pas savoir qu'il habite aussi là en fait et qu'il vient en voisin, non plus Jamy (de Fred et Jamy) sur un quai de métro quand je ne suis pas réveillée, ni ce jeune homme qui vient d'ouvrir un restaurant à deux pas de chez moi et qui me rappelle sacrément un certain gagnant de télé-crochet culinaire: oh que j'ai l'air bête quand on m'explique que c'est lui, ou cet élégant monsieur croisé dans une soirée qui portait beau et dont le ramage n'avait d'égal que son plumage lustré, oui oui c'est Arnaud M. qui vient en ami, ah bon on est chez qui là?
Quant à mes voisines camarades de sortie d'école alors que nos enfants respectifs ont passé l'âge qu'on les y attende, comment peuvent-elles imaginer que sans les mômes dont elle étaient flanquées je puisse les identifier?! A-t-on idée de sortir sans ses attributs quand on est la maman de Jeanne/ Matteo/Louise?

(et l'inverse est vrai aussi car dans la rue, des ados qui me dépassent d'une tête me saluent: bonjour Madame, je vous connais, vous êtes la maman de Nilu/Camille/Naveen)





* Finalement, j'ai plaisir à inventer des mots. Quitter bientôt l'univers médical me fait réaliser soudain combien j'ai pu y puiser à loisir de bien jolis objets lexicaux: cela va des Métacarpiens (dynastie franque du Haut Moyen-Âge) aux ectasies canaliculaires pré-calicielles (non non ce n'est pas hallucinogène), en passant par les héparines de bas poids moléculaire (et on a le cœur léger), le pneumotachographe qui sonne comme une invention des Shadoks, la post-cure de l'amblyope rééduqué (à vos souhaits), les hypocondres, les gouttières occlusales et les butées prothétiques (ou prophétiques?), la cellule épithéliale rétinienne (réfléchissante? sans doute), la microtie, la trichotillomanie,  etc. et mon préféré: l'inhibiteur de la pompe à protons.

Ah oui je disais plus haut que j'ai le chic pour retenir beaucoup beaucoup beaucoup de noms et de choses.... assez peu utiles au demeurant.

Commentaires

  1. moi aussi j'en ai un : il sonne bien mais il n'est pas forcement simple à placer dans les dîners en ville : piblokto.

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  2. Oh mais Valentine comme c'est charmant, vous nous avez préparé un Piblotko d'omble chevalier! avec un beurre d'agrumes, c'est divin!

    Croyez-moi, n'est pas Piblotko qui veut: il faut comprendre l'intention avant de se lancer dans la mise en œuvre, et du reste, je ne m'interdis pas de penser qu'il échoira à la collectivité de s'en charger

    nom d'une Piblotko, tu es là toi aussi mon poteau? Viens que je t'embrasse

    Je l'ai manqué d'un Piblotkon, rien qu'un! si j'avais mieux anticipé hein

    Valentine, je bois à notre solide amitié: Piblotko Tovaritch !!!

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