La vie devant moi

J'ai intégré depuis peu deux mots supplémentaires à mon petit viatique lexical personnel: impermanence et finitude. Non, je ne fais pas un concours de néologismes ni de mots savants (à lire et entendre les remarques appuyées de certains de mes lecteurs, je m'en garderais bien ;-). Ces mots-ci entrent bel et bien au dictionnaire mais c'est pourtant comme s'ils avaient été créés pour moi.

Je suis environnée d'objets qui avec les années se sont chargés de souvenirs, et me ramènent à chaque fois à ma finitude, ou plutôt à celle des disparus (où l'une se révèle avec l'autre: une vertu du deuil est qu'il vous sensibilise à votre propre nécessaire mort...)
Depuis bientôt trois ans, je suis parfois ahurie, et marque même un temps d'arrêt, comme une légère absence dans le tumulte de ma journée, absorbée en moi-même, parce que je tombe sur un livre, un album, une écharpe, un bijou, que sais-je, témoins de ma vie d'avant, et du fantôme triste et bienveillant qui me hante...
Chaque fois je mesure combien les objets qui m'entourent ont l'indécence de lui survivre. Cette tasse déjà ancienne, ce flacon de parfum acheté en francs, ce chandail en cachemire garanti à vie, ces mots et cette encre indélébiles, ce vilain mur souillé, ces fauteuils fatigués, comment peuvent-ils toujours exister et afficher une réalité bien tangible? Cependant que le corps, la chair ou les viscères sont si fragiles parfois, et s'abîment et périssent.

Depuis bientôt trois ans, je mesure aussi différemment le temps qu'il me reste, qui est une autre façon d'éprouver sa propre finitude.
Je ne fais plus face à un avenir aux contours infinis, comme lorsqu'on avait quinze ans et que du haut de notre fraîcheur adolescente trente ans, c'était déjà vieux! Aujourd'hui ce sont mes enfants qui à leur tour me renvoient cette jauge un peu gauchie quand ils évoquent un professeur en me précisant qu'elle n'est pas jeune, ça non, elle doit avoir quelque chose comme 38 ans ?... ou peut-être même ton âge! Ah oui, là quand même, c'est sacrément vieux! Gloups.
Je sais qu'on apprécie différemment le temps devant soi, d'avoir côtoyé, voire vécu soi-même, l'urgence de vivre ce qu'il y avait à vivre de bon, de fort et d'infiniment heureux. C'est une banalité de dire qu'on se concentre sur l'essentiel quand cet essentiel manque de nous échapper ou qu'il se dérobe tout à fait. C'est une banalité heureuse qui fait désirer le meilleur, et nourrir avec ferveur ses ambitions et sa liberté, même si c'est parfois un travail de chaque instant! Y tendre absolument.

Et je pourrai sans sursauter ni hoqueter (r)envoyer les objets dans le décor, qui est un peu leur vocation première.



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