Falbalas

Ce samedi est jour de noce à la campagne.
Je me suis souciée hier de choisir un saree, ai déballé sur les lits des garçons mes baluchons. Me suis décidée pour une soie turquoise un peu sombre aux reflets magenta. Puis ai remisé tout le reste.
J'imite mes aînées et range mes précieux sarees dans de grands carrés de coton, façon furoshiki, regroupés par gammes de couleurs, en évitant que les piles ne s'effondrent et qu'ils ne dégoulinent, sans quoi il faut replier des mètres et des mètres de soie.
Quand nous étions petites ma soeur et moi, nous aimions sortir et déployer les sarees entassés par dizaines dans l'armoire maternelle. Je découvrais ravie le poids et le crissement du taffetas presque rèche façon shantung des Kanchipuram, le raffinement d'une frange de fils tressés en résille délicate, la fluidité des Mysore, des mousselines et autres 'crêpe silks' légères comme un souffle, les brocarts en fil de vermeil des Benares, l'audace et la gaieté des contrastes et mariages de couleurs, les complexes motifs d'ikat et de tie and dye d'un Pachampuli (transcription hasardeuse). Car à chaque style ou variété de soie sa provenance géographique éponyme, sonnant comme un inventaire d'épices ou de plantes.
Ce déballage enthousiaste et désordonné s'accompagnait d'anecdotes, mille fois réclamées et entendues, autour de cette pièce unique au motif tachiste achetée lors d'une exposition, de ces sarees acquis par correspondance auprès d'un détaillant à Singapour, des sarees hérités de ma grand-mère en organdi doré ou en soie grise élégantissime (à la clé: informations sur le millésime, les tendances des années vingt-trente, etc.), de celui-ci commandé expressément à Kanchipuram parce que ma mère en voulait absolument un noir (une non-couleur en Inde)... à bordure orange, et bien-sûr le fabuleux saree de son propre mariage en soie crème et or bordé de vert pré lumineux...
Je me souviens aussi de ma stupéfaction lorsque, en visite chez des cousins, je découvrais les quelque cinq-six sarees de ma tante; dans mon esprit, toute femme indienne collectionnait les sarees, les couleurs, les envies comme l'avait fait ma mère.
Un jour je cèderai les miens à ma propre fille (quand elle quittera son uniforme d'ado jeans-Converse-tee-shirt noir) et je saurai à coup sûr les lui rendre attachants et uniques, avec force détails savants, futiles ou historiques qui pour l'instant consistent en une sorte de carnet de bal ou de dîners en ville: quel saree aura accompagné quel(le) soirée/mariage/fête... Car, cela va de soi, on ne porte jamais un même saree qu'une seule fois et ne saurait le resservir à une autre occasion!
Mais là encore, je crains de n'être sous l'influence hautement subjective du schéma maternel...

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