Le sanglot de l'homme blanc*

Samedi dernier j'étais au 104 pour entendre un auteur anglais que j'idolâtre: Hanif Kureishi. Répondant avec son flegme et son humour habituels sur son quotidien d'écrivain mais aussi sa vision du Pakistan (puisque Pakistanais par son père), il a eu toutefois une saillie surprenante alors qu'on l'interrogeait sur la littérature française et ce qu'il en connaissait (Houellebecq of course), faisant valoir l'absence de 'non-blancs' dans l'assistance (hep hep je suis là moi!) et l'invisibilité de nos minorités (vs les 'Asians' et autres Caribéens en Grande-Bretagne). Il faut dire que le 104 où se tenait une partie de la programmation du festival Paris en toutes lettres se situe en plein 19e arrondissement, pas loin des tours fantomatiques de l'avenue de Flandre, économiquement pauvre, en friche ou si on préfère "en mutation" (comme on dit dans les cabinets d'urbanisme et... les agences immobilières), et que les riverains du 104 ne se sentent pas très concernés par le splendide manège du Royal Deluxe à 3 euros le tour, le restaurant hype, ou les lectures de Jacques Gamblin et Dick Annegarn, la venue d'Imre Kertesz, d'Erri de Luca ou de Dany Laferrière; c'est bien dommage mais c'est comme ça.
Je n'aurais pas aimé me retrouver dans la posture agaçante de celui/celle qui est arrivé(e) en retard à une réunion et n'a pas suivi le début des débats, à qui on répond de manière condescendante que cet aspect a été abordé et qu'on y a déjà répondu.
Mais tout de même, je pensais tout bas, dites-donc M. Kureishi, la Grande-Bretagne ne s'est -elle pas mordu les doigts récemment d'avoir laissé ses communautés, notamment indo-pakistanaises, vivre en autarcie, développer des écoles confessionnelles où l'Etat n'avait pas droit de cité, avec les dérives que l'on sait? Je ne suis pas sûre que ce modèle soit plus efficace en termes d'intégration ou de multiculturalisme serein. Je réalise à quel point ces questions d'identité et d'acculturation me travaillent toujours autant et relèvent d'un temps long. Et combien elles seront toujours d'actualité pour un auteur comme Hanif Kureishi, même si ses romans s'en affranchissent toujours un peu plus, explorant avec bonheur des thèmes universels (l'amour, le désir, la maladie, le théâtre, l'écriture).

*titre d'un très vieux livre réactionnaire de Pascal Bruckner. Du temps où je lisais Edward Said, Maxime Rodinson, Yves Lacoste, Jean Ziegler... et leurs contradicteurs.


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