Bambou

"Durant l'Âge d'or les gens étaient racistes mais ne le savaient pas encore et éprouvaient de la curiosité vis-à-vis des Noirs des Papous etc. et les jardins zoologiques des grandes villes organisaient des spectacles ethnographiques de sauvages qu'on faisait asseoir devant une hutte de bambou avec une peau de bête autour des reins et s'adonner à diverses occupations et les gens allaient voir comment vivaient les Papous et les Zoulous et les Ngoni et les Ashantis et ils leur lançaient des bonbons et des morceaux de sucre. Les spectacles ethnographiques connurent un grand succès parce que les gens voulaient voir comment on vivait de par le monde et à l'Exposition universelle de Paris en 1900 les pays industriels exposèrent non seulement des nouveautés techniques et de l'art nouveau et de l'architecture nouvelle mais aussi des spécimens des populations indigènes de leurs colonies des Nubiens et des Dahoméens et des Caribéens et des Malaisiens et des Kanaks. Les Kanaks étaient assis devant une hutte de bambou avec une peau de bête autour des reins et ils taillaient une massue de pierre au silex bien qu'ils n'aient jamais tenu de massue ni de silex auparavant car il s'agissait de petits employés de l'administration coloniale que le gouvernement avait recrutés au nom de l'intérêt d'État. Et lorsque l'exposition universelle fut terminée le Musée des colonies les a envoyés en Belgique et en Allemagne et au Danemark et les Kanaks envoyaient des lettres au directeur du Musée pour savoir quand ils pourraient rentrer chez eux et reprendre leurs fonctions mais la réponse n'arrivait pas et un jour les Kanaks se sont sauvés du train dans lequel ils voyageaient en Allemagne et ils sont revenus en France où ils ont embarqué clandestinement sur un bateau qui devait faire route vers la Nouvelle-Calédonie mais qui naviguait en réalité vers le Liban. Et quand les marins les ont découverts cachés dans les cales et qu'ils ont appris que c'était les Kanaks de l'Exposition universelle ils ont été flattés que les Kanaks aient choisi leurs bateaux et ils leur apportaient à manger et s'enquéraient de la production annuelle de massues en Nouvelle-Calédonie. Les spectacles ethnographiques ont pris progressivement fin après la Première Guerre Mondiale parce que 1 700 000 Zoulous etc. avaient combattu dans les rangs des Alliés et que les gens s'étaient habitués à eux et étaient moins curieux."

Patrik Ourednik, Europeana. Une brève histoire du XXe siècle. Allia, 1re édition 2004.
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